Les Nations Unies annoncent un génocide climatique.
C’est pire que cela.
Il y’a tout juste deux ans, dans une fanfare mondiale, les accords de Paris sur le climat furent signés – initiant ce qui semblait être, pour un bref instant, le début d’un mouvement pour sauver la planète. Mais quasi immédiatement, les objectifs internationaux établis pour limiter le réchauffement climatique à deux degrés ont commençé à sembler, pour les plus vulnérables de ce monde, dramatiquement inadéquats; Le représentant des îles Marshall a nommé cela durement, appellant deux degrés de réchauffement un génocide.
Le rapport alarmant dont vous avez peut-être entendu parler cette semaine du GIEC – qui examine à quel point un réchauffement de 1,5°C serait beaucoup mieux que 2°C – fait écho à l’accusation.
Des centaines de millions de vies sont en jeu, déclare le rapport, si la planète se réchauffe de plus de 1,5°C, ce qui se passera dès 2040, si la tendance actuelle continue.
La plupart des récifs coralliens mourront, les feux de forêts et vagues de chaleur balayeront la planète annuellement, et les intervalles entre sécheresse et innondations signifieront que l’approvisionnement mondial en nourriture deviendra dramatiquement moins sûr. Eviter cette échelle de souffrance, le rapport nous dit, requiert un tel changement économique, agricole et culturel mondial qu’il n’y a pas de précédent historique documenté. Le New York Times déclare que le rapport présente un risque fort d’une crise climatique dans les décennies à venir ; dans Grist, Eric Holthaus écrit que “la civilisation est en jeu”.
Si vous êtes alarmés par ces phrases, vous devriez l’être – elles sont terrifiantes. Mais la situation, est en fait pire que cela – considérablement pire. Ça l’est parceque le pire scenario de ce nouveau rapport est, à vrai dire, le meilleur des scenarios. Ce qui a été appellé un niveau génocidaire de réchauffement est déjà notre futur inévitable. La question est jusqu’à quel point ça sera pire que ça ne le sera déjà.
En excluant l’arrivée des nouvelles technologies de capture de carbone, qui sont si loin d’être déployées à une échelle suffisante qu’elles sont au mieux décrites comme un fantasme d’aboslution industriel, il ne sera pas possible de contenir le réchauffement sous les deux degrés, un niveau que le nouveau rapport décrit comme une catastrophe climatique. Globalement, nous faisons la course sur une trajectoire qui nous emmènera à plus de 4°C d’ici la fin du siècle. Quatre degré c’est doublement pire que cela. Et c’est vers où on va, en ce moment – un enfer climatique doublement plus infernal que celui que le GIEC demande, justement, d’éviter coûte que coûte. Mais le véritable sens du rapport n’est pas “le changement climatique est pire que ce que vous pensez”, parceque quelqu’un qui connaît l’état de la recherche n’y trouvera rien de surprenant. Le véritable message est : “maintenant, vous avez de bonnes raisons de paniquer”.
Pas plus tard qu’il y’a un an, lorsque j’ai publié une couverture de magazine explorant les pires scenarios de changement climatique, un alarmisme de ce genre était considéré comme anathème pour beaucoup de scientifiques, qui pensaient qu’une narration qui focalisait sur des possibilités effrayantes était tout aussi dommageables pour l’engagement du public que le déni. Il y’a eu une série d’avancées inquiétantes en recherche climatique au cours de l’année passée – plus de méthane des lacs arctiques et du permafrost que prévu, ce qui pourrait accélérer le réchauffement; une vague de chaleur sans précédent, des feux de forêts arctiques, des tempêtes battant à travers les deux plus grands océans l’été dernier. Mais dans l’ensemble le consensus est le même : nous sommes en route vers un réchauffement de quatre degré, plus de deux fois plus que ce que la plupart des scientifiques pensent qu’il est possible d’endurer sans infliger une souffrance climatique à des centaines de millions ou menaçant au moins des parties de l’infrastructure sociale et politique de que nous appellons grandement, “la civilisation”. La seule chose qui a changé, cette semaine, c’est que les scientifiques ont, finallement, appuyé sur le bouton “panique”.
Les chiffres étant si petits, nous avons tendance à trivialiser les différences entre un degré et deux, deux degrés et quatre. L’expérience humaine et la mémoire n’offrent pas de bonne analogie sur la manière dont nous pourrions penser ces seuils, autrement qu’en terme de réchauffement, comme avec les guerres mondiales, et les rechutes de cancer, vous souhaitez juste ne pas en avoir du tout.
A deux degrés, la fonte des glaçes franchira un point de non-retour d’effondrement, innondant des douzaines des villes majeures du monde pendant ce siècle. A ce niveau de réchauffement, il est estimé, le PIB mondial par personnes sera diminué de 13%. Quatre cent millions de personnes de plus souffriront de manque d’eau, et même dans les lattitudes nord les vagues de chaleur vont tuer des milliers chaque été. Ce sera pire sur la bande équatoriale. En Inde, où de nombreuses villes maintenant peuplées de plusieurs millions vont devenir invivablement chaudes, il y’aura 32 fois plus de vagues de chaleur extrêmes, chacune durant cinq fois plus longtemps et atteignant, au total, 93 fois plus de personnes. Et c’est deux degrés – en parlant concrètement, notre scenario meilleur-des-cas.
A trois degré, le sud de l’Europe sera en sécheresse permanente. La sécheresse moyenne en Amérique centrale durera 19 mois et 21 mois dans les Caraïbes. En Afrique du nord, cela s’élève à 60 mois – cinq ans. Les zones brûlées chaque années par les incendies vont doubler dans la mediterranée et être multipliées par six aux Etats-unis. En plus de la montée des mers, qui va déjà avaler des villes de Miami à Jakarta, les dégâts des innondations des rivières vont être multipliés par 30 au Bengladesh, par 20 en Inde, et jusqu’à 60 fois en Grande-Bretagne. Ça c’est trois degrés – on pourrait faire mieux si toutes les nations du monde honoraient leurs engagements de Paris, ce qu’aucun d’entre eux ne font. En pratique, hormis les dramatiques tech deus ex machinas, cela semble être un bilan réaliste aussi positif qu’il soit rationnel d’espérer.
A quatre degré, il y’aura 8 millions de cas de fièvre de dengue chaque année rien qu’en Amérique latine. Les récoltes de grains mondiaux pourraient chuter de 50%, produisant des crises alimentaires annuelles ou quasi annuelles. L’économie mondiale serait diminuée de plus de 30% qu’elle ne le serait sans changement climatique, et nous verrions 50% de conflits et guerres en plus qu’aujourd’hui. Possiblement plus. Notre trajectoire actuelle, souvenez-vous, nous emmène au-delà de ça, et bien qu’il y’ait de nombreuses raisons de penser que nous infléchiront bientôt cette courbe, les coûts baissant des énergies renouvelables, le consensus mondial grandissant pour éliminer le charbon – il est bon de rappeller que quoique vous ayez entendu au sujet de la révolution verte et du prix des panneaux solaires, en ce moment, les émissions de carbone sont toujours en train d’accélérer.
Rien de tout cela n’est nouveau – la plupart des données sont tirées de cette unique page de rapport méticuleux. En fait, rien dans le rapport du GIEC n’est nouveau. Pas pour la communauté scientifique ou pour les activistes du climat ou même n’importe qui qui a été un lecteur assidu des nouveaux rapports au sujet du réchauffement ces dernières années. C’est ce que le GIEC fait : il n’apporte pas de nouvelles découvertes ou même de nouvelles perspectives, mais compile la masse désordonnée de recherche scientifique existante et de qualité en rapports consensuels conçus pour délivrer aux responsables politiques du monde un état absolument incontestable de la connaissance. Quasiment depuis que le GIEC existe, en 1988, il a été critiqué pour être trop précautionneux dans son évaluation du problême – un large corps de scientifiques détestant les imprécisions focalisant sur des prédictions sur lesquelles ils sont tous d’accords (et que, ils ont dû l’espérer, les politiciens ont dû trouver applicables). La page Wikipedia du GIEC a une sous-section critiquant son conservatisme.
Ce qui explique pourquoi il est remarquable que le ton de ce rapport soit si alarmiste – ce n’est pas tant que les nouvelles du réchauffement climatique sont différentes, mais c’est que la communauté scientifique renonce finalement à ses réticences à décrire les implications des ses propres conclusions.
Elle a aussi, un grand merci, offert une suggestion pratique, en proposant d’imposer une taxe carbone beaucoup , beaucou plus élevée que celles actuellement utilisées ou considérées – elle propose d’élever le coût d’une tonne de carbone possiblement jusqu’à 5000$ d’ici 2030, un prix qu’elle suggère devant augmenter jusqu’à 27000$ par tonne en 2100. Aujourd’hui, le prix moyen du carbone à la tonne parmis les 42 forces écconomiques est de seulement 8$ la tonne. Le nouveau prox Nobel d’économie, William Nordhaus, a rendu son nom célèbre en inventant pratiquement l’économie du changement climatique, et sa taxe carbone favorite est de 40$ la tonne, ce qui devrait probablement nous faire atterir à environ 3.5°C de réchauffement. Il considère ce grotesque niveau “optimal”.
Cependant une taxe carbone n’est qu’une étincelle pour l’action, pas l’action elle-même. Et l’action nécessaire est d’une échelle et d’une rapidité presque inimaginable pour la plupart d’entre nous. Le rapport du GIEC l’appelle “sans précédent”. D’autres activistes citent souvent un précédent, dans toute l’histoire humaine, d’après le modèle de comment les Etats-Unis ont préparé la deuxième guerre mondiale, et appelé à une mobilisation mondiale de cet ordre – toutes les sociétés rivales et les gouvernements nationalistes et industries auto-centrées organisés autour du but commun de la recherche d’un climat stable et confortable comme si le réchauffement était une menaçe existentielle.
Et ça l’est. Et la deuxième guerre mondiale comme métaphore de la mobilisation n’est pas une hyperbole. Eviter un réchauffement du type de ce que le GIEC appelle catastrophique requiert une reconception complète de toute l’infrastructure énergétique mondiale, une redéfinition totale des pratiques agricoles et alimentaires pour éliminer entièrement les émissions carbone de l’agriculture, et une batterie de changement culturels sur la manière dont nous dans l’Occident opulent, au moins, conduisons nos vies. Et nous devons faire tout cela dans deux, possiblement trois décennies. A titre de comparaison, rien que la dernière phase de l’extension de trois stations du métro de la seconde Avenue de New York a pris 12 ans. Au bas-mot, depuis le début des travaux, le projet a pris 45 ans.
Cela ne revient pas à dire que c’en est fini, nous sommes cuîts. Arrêter le réchauffement sous les quatre degrés est mieux que de les dépasser, maintenir les températures sous les trois degrés est encore mieux, et plus nous serons proches des deux degrés, plus ce sera miraculeux. Parceque le changement climatique n’est pas binaire, et ne survient pas tout d’un coup, à pleine puissance, à un niveau particulier. C’est une fonction qui empire avec le temps aussi longtemps que nous emmettons des gaz à effet de serre. La durée pendant laquelle nous continuerons dépent vraiment de nous, ce qui revient à dire que ce sera déterminé dans le champ politique, ce qui revient à dire que la panique produite par le rapport du GIEC peut être une forme de pression politique très productive.
Il y’a aussi ces alternatives tirées par les cheveux que j’ai mentionnées – la séquestration du carbone et la géoingénierie solaire – mais elles sont impraticables pour l’instant et, même en théorie, viennent avec leur cortèges d’inconvénients. Mais même si la technologie devient considérablement moins cher et plus efficace pendant les quelques prochaines années, il faudrait les déployer également à l’échelle de la planète – des centrales de capture du carbone partout sur la planète. Il faudra longtemps pour les construire, en d’autres termes, même si elles fonctionnaient, et nous n’avons tout simplement pas toutes ces années pour attendre d’agir.
Il y’a quelques semaines, alors que le rapport du GIEC se profilait, j’ai déjeuné avec un éminent climatologue qui fût impliqué dans les rapports précédents et a fait un travail considérable de préparation locale également. J’ai demandé s’il pensait que New York construirait un rempart contre la mer ou une digue pour protéger la ville de la montée de l’océan et des inondations. Oui, il dit, Manhattan sera protégé, à tout prix. Mais des projets d’infrastructure comme celui-ci prennent des décennies – typiquement 30 ans. Même si nous commençions aujourd’hui, il me dit, la digue ne serait pas finie à temps pour protéger Howard Beach et les autres parties du Queens sud et Brooklyn. Bien assez tôt, il dit, vous verrez la ville s’ajuster en fonction – interrompant les nouveaux projets d’infrastructure par ici, se retirant même de la maintenance quotidienne comme celle des réparations des égoûts, et signalant plus généralement aux résidents actuels qu’ils ne seront pas en mesure de céder leurs maisons à leurs enfants quand ils mourront. Et bien entendu, une digue pour protéger New York n’inclus que les alentours du port, laissant tout Long Island exposé.
C’est juste la menace de la montée de la mer, et juste une (très riche) métropole. Le monde est bien plus grand que cela, tout comme l’est le changement climatique. Il est également très rapide, avec plus de la moitié du carbone que l’humanité a mis dans l’atmosphère depuis toujours ayant eu lieu seulement lors des 25 dernières années, depuis que Al Gore a publié son livre sur le changement climatique. Lundi le GIEC peut sembler faire un écart dramatique, et ça l’est. Mais il en viendra encore beaucoup d’autres comme cela. Pendant que nous continuons à gaspiller le peu de temps que nous avons, les nouvelles ne vont qu’être de pire en pire à partir de maintenant.
Traduction : Julien Bach
Article original : UN Says Climate Genocide Is Coming. It’s Actually Worse Than That. de David Wallace-Wells. Oct 10, 2018